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La microfinance à l’ère digitale : sept questions essentielles pour le futur du secteur

Est-ce que les fintechs vont prendre le contrôle de la microfinance ? Les bailleurs traditionnels peuvent-ils survivre ? Comment ? Elisabeth Rhyne, du centre pour l’inclusion financière Accion, répond à sept questions brûlantes.
Crédit photo : Haja Faniry Razafimahenina pour CGAP, 2015

Au début des années 2000, le secteur de la microfinance était en plein essor. Il restait alors de nombreux objectifs à accomplir : conquérir les marchés financiers afin de se développer, obtenir une légitimité réglementaire, développer des produits d’épargne et d’assurance en plus du crédit, démontrer des performances sociales et œuvrer à la transformation institutionnelle.

Puis en 2007, M-Pesa est né et les choses ont commencé à changer. L’attention et le soutien du secteur international de l’inclusion financière est passé brusquement du crédit pour les pauvres à l’innovation des moyens de paiement et des canaux de distribution. Les faibles coûts d’exploitation des nouveaux modèles ont attiré de nouveaux acteurs dotés d’énormes ressources, des télécoms aux plateformes technologiques.

Loin des projecteurs, les institutions de microfinance (IMF) ont continué à se développer, desservant des centaines de millions de personnes sans changer leurs méthodes. Mais nous sommes bientôt en 2020 et la révolution numérique a modifié le monde si profondément qu’on ne peut plus l’ignorer. Lors de la 25e édition de la rencontre Microfinance Network, les PDG des principales IMF ont discuté de la bonne méthode pour ne pas rater le train en marche.

En se projetant dans les dix prochaines années et reconsidérant les débats lors de cette rencontre, voici les sept questions auxquelles les IMF seront confrontées dans le futur.

  1. Est-ce que les fintechs vont prendre le contrôle du marché de la microfinance ?

Dans les années 1990, si vous vouliez être un entrepreneur social, vous fondiez une IMF. Aujourd’hui, vous démarrez une fintech. Accion est devenu l’un des principaux investisseurs mondiaux dans le domaine des « fintechs pour l’inclusion financière », avec des investissements dans près de 50 entreprises proposant des produits tels que des réseaux de paiement, des envois de fonds, des crédits aux petites et moyennes entreprises (PME), des crédits à la consommation, des applications PayGo, des conseils à la clientèle, des assurances et des analyses de données.

Au début, beaucoup de fintechs cherchaient à déstabiliser les institutions financières traditionnelles, telles que les IMF, mais elles faisaient face à deux problèmes fondamentaux : l’acquisition de clients et la levée de capitaux. Deux paramètres qui ont poussé de nombreuses fintechs à former des partenariats avec des institutions traditionnelles, ouvrant la voie à de nombreuses IMF : en effet, les partenariats avec des fintechs peuvent aider les IMF à passer du traditionnel au numérique.

Cependant, les IMF doivent être prêtes à collaborer avec des fintechs. Elles ont besoin de départements informatiques capables de se connecter sans problème à la technologie apportée par les fintechs. Elles doivent également développer une culture d’expérimentation, opposée à une organisation plus traditionnelle. Enfin, elles doivent admettre que les fintechs, en raison de leurs ressources financières limitées, doivent accéder au marché rapidement et ont besoin du soutien financier de leurs partenaires potentiels. Pour tirer profit de ce que les fintechs ont à offrir, les IMF doivent non seulement réaliser les avantages qu’une collaboration avec les fintechs peut leur offrir, mais être également disposées à offrir aux fintechs ce dont elles ont besoin.

  1. Les IMF vont-elles prendre le virage numérique ?

Les IMF ne jurent que par leurs méthodes de souscriptions traditionnelles, qu’elles impliquent des garanties de groupe ou une évaluation individuelle de la capacité de remboursement. Ces méthodes «de proximité» engendrent le plus souvent des taux de remboursement qui font rêver les autres bailleurs. Une des clefs du succès des IMF réside dans le fait que la méthodologie prédit non seulement la capacité de remboursement d’un client, mais augmente aussi la motivation à rembourser, par le biais de la pression des pairs et de la promesse d’un accès continu au crédit.

En revanche, les algorithmes générés par le Big Data et l’apprentissage machine manquent d’aspect motivationnels et sont conçus principalement pour prévoir le remboursement. Par conséquence, une grande partie des prêts basés sur des algorithmes présentent des taux de défaut élevés, nécessitant des taux d’intérêt élevés.

Cela dit, une fois que la configuration initiale est en place, le crédit basé sur des algorithmes est tellement peu coûteux à exploiter que son essor est inexorable. Il suffit de regarder au Kenya, où le crédit numérique a commencé tôt. Il y a plus de 6 millions d'emprunteurs numériques et, selon une étude préliminaire du MSC, près de neuf prêts sur dix dans l'ensemble du système sont numériques. Les prêts basés sur des algorithmes sont rendus possibles grâce à l'accès aux données comportementales des clients, la capacité d'analyse des données et le contact numérique, ce qui peut être difficile pour les IMF (une autre raison de s'associer à des fintechs).

Au fur et à mesure qu’elles développent les fonctionnalités permettant les prêts basés sur des algorithmes, les IMF souhaitent éventuellement explorer des modèles hybrides associant technologie et contact. Elles peuvent se concentrer sur des segments du marché difficiles à atteindre pour les bailleurs numériques. Dans tous les cas, elles doivent plaider en faveur de normes élevées pour la protection des consommateurs sur leurs marchés, afin d'éviter d'être évincés par des prêts prédateurs.

  1. Les IMF peuvent-elles participer à l’innovation des crédits aux PME (petits et moyennes entreprises) ?

Après des décennies de stagnation, le crédit aux PME est en pleine innovation. Une avancée rendue possible par trois changements de structure économique, qui accompagnent des entreprises auparavant informelles vers plus de formalité :

  • Facturation électronique : en Amérique latine et dans d’autres régions, les gouvernements exigent que les PME facturent électroniquement, principalement à des fins fiscales. Les bailleurs comme Konfio au Mexique utilisent ces données comme base du prêt numérique.
  • Le financement de la chaîne d’approvisionnement, dirigé par les grandes entreprises qui fournissent des biens aux commerçant locaux ou qui achètent des produits agricoles, est en plein boom.
  • Le commerce électronique, peut-être la plus grande force, connecte des millions de PME à des plateformes technologiques.

De nombreuses IMF ont un avantage certain à saisir ces opportunités de marché, car elles ont déjà pour clients des PME et sont habilitées à souscrire au moins à l’extrémité inférieur de ce segment. A l’avenir, elles pourront développer des méthodes de prêt utilisant le suivi des données électroniques. Les IMF peuvent également s’associer avec de grands distributeurs, des acheteurs agricoles ou des entreprises de commerce électronique en tirant parti du fait que ces plateformes ne considèrent pas le prêt comme un élément essentiel de leur activité et sont friandes de partenariat avec des bailleurs.

 

Les IMF doivent plaider en faveur de normes élevées pour la protection des consommateurs sur leurs marchés, afin de ne pas être évincées par des prêts prédateurs.

 

  1. L’assurance deviendra-t-elle importante pour les clients des IMF ?

Jusqu’à présent, la plupart des clients des IMF ayant reçu une couverture d’assurance ne savaient probablement même pas qu’ils en avaient une. En effet, le produit d’assurance le plus courant est l’assurance vie, intégrée à leur prêt sans qu’ils aient pris la décision de l’acheter. Mais on commence enfin à innover dans le domaine de l’assurance pour les personnes à faibles revenus.

Par exemple, le Venture Lab d’Accion a investi dans plusieurs entreprises en plein essor : Pula offre une assurance contre les intempéries associée à l’achat de semences, grâce à une puce intégrée dans les sacs de semences. Toffee propose des micro-assurances pour des activités spécifiques à court terme. Quant à Lumkani, elle propose des assurances incendie associée à la prévention des incendies.

Ces produits d’assurance vont au-delà des idées reçues quant à la manière de toucher des clients à faibles revenus grâce à trois de leurs caractéristiques :

  • Ils réduisent les coûts d’inscription en éliminant les exclusions
  • Ils réduisent les coûts des demandes de paiement en les rendant automatiques
  • Au lieu d’assurer des événements peu fréquents, ils construisent une culture de l’assurance en couvrant les problèmes du quotidien.

Ces offres sont rendues plus accessibles grâce à la distribution électronique. Les IMF peuvent participer à cette innovation en admettant que l’assurance peut être importante pour la santé financière de leurs clients. La réduction des risques liés aux clients devrait constituer une bonne stratégie commerciale pour les IMF. Parallèlement, les assureurs ont toujours besoin d’une bonne distribution et de partenaires.

  1. Les consommateurs seront-ils convenablement protégés dans le monde digital ?

Les services financiers numériques créent de nouveaux risques pour les consommateurs. Nous devons donc continuer à nous poser cette question. Les prêts numériques peuvent être très faciles à obtenir, mais aussi très coûteux. Au Kenya, où des micro-prêts numériques sont accessibles par téléphone, nous avons une bonne idée des risques : 20% des clients en défaut, de nombreux prêts numériques utilisés pour des paris sportifs, des tarifs supérieurs aux microcrédits et un nombre considérable de personnes ajoutées à la liste noire du bureau de crédit.

La protection des données personnelles est un autre risque croissant. Les clients veulent être certains que leurs données personnelles resteront confidentielles, à la fois car il s’agit d’un droit fondamental mais aussi parce qu’ils craignent d’être exposés au piratage, à la fraude et à des erreurs. A mesure que les IMF passent au numérique, leur exposition aux risques de cybersécurité augmente.

Les régulateurs ont du mal à faire face aux risques émergents et les IMF peuvent jouer un rôle important en veillant à respecter des normes strictes de protection des consommateurs et en définissant des normes de conduite rigoureuses pour les autres acteurs.

  1. Comment les paiements et les crédits seront-ils connectés en 2020 ?

Les IMF ont débuté avec le crédit en tant que produit autonome, mais de plus en plus, les paiements digitaux ont constitué une passerelle vers les crédits grâce à la production de données. Une évolution qui confère un avantage potentiel énorme aux grandes plateformes de paiement. Ces plateformes ont déjà une clientèle énorme qui génèrent des flots de données. Si ces dernières sont correctement analysées, elles offriront les informations nécessaires pour proposer des crédits. L’association entre paiement et crédit peut devenir potentiellement très puissante. Les grandes plateformes technologiques pourraient très bien finir par dominer le crédit, tandis que les plus petits fournisseurs, comme les IMF, resteront inférieurs ou deviendront dépendants de ces plateformes.  

Au Kenya, l’évolution de l’inclusion financière nous donne une bonne idée de ce qui pourrait se dérouler dans le futur, avec un marché dominé conjointement par le paiement M-Pesa et le crédit M-Shwari. Parmi les grandes entreprises technologiques internationales telles qu’Amazon et Google, seule Alibaba est entré dans la finance à grande échelle, mais toutes les grandes entreprises ont pris des initiatives. Ant Financial est devenu la bouée de sauvetage des PME chinoises, tant pour le chiffre d’affaire que le fond de roulement, et son modèle se répand dans le monde entier, car Ant Financial investit dans toute l’Asie.

Ce scénario dominé par les plateformes n’est pas encore d’actualité sur la plupart des marchés d’IMF et pourrait ne pas aboutir. Mais ce qui est certain, c’est la puissance et l’efficacité des données de paiement pour éclairer les décisions de crédit, ce qui sous-entend que les IMF devraient rechercher des moyens de se connecter à ces données pour les exploiter.

  1. La transition numérique est-elle viable pour les IMF traditionnelles ?

Pour que les IMF parviennent à transformer ces défis en opportunités, elles doivent être prêtes à faire face à la transformation numérique. Dans de nombreux cas, tels que les IMF membres du Microfinance Network, elles sont déjà engagées dans le numérique, mais peu d’entre elles ont achevé cette transition. De nombreuses organisations ont créé des outils numériques pour leurs agents de crédit, certaines ont incorporé des outils d’évaluation du crédit dans leurs processus de souscription et beaucoup ont opté pour des décaissements et remboursements de prêts numériques.

Une transformation numérique plus fondamentale nécessite de repenser les modèles commerciaux, y compris le rôle du groupe d’agents de crédits, qui constituent l’épine dorsale du personnel de la plupart des IMF. Cette transformation implique des choix difficiles en matière de reconversion et d’emploi, ce qui doit être davantage discuté dans le secteur. Des investissements dans l’analyse de données sont nécessaires, et au niveau directionnel, une expertise doit être apportée pour guider cette transition.

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Les IMF ont la possibilité d’utiliser des outils numériques pour poursuivre leurs missions dans un monde de plus en plus numérique. Si elles n’ont pas déjà commencé, il est grand temps de le faire.

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Chana Philerme , Haiti
12 juillet 2022

Je pense que c'est une bonnne initiative. Chez nous a SFF, nous avons opter pour les remboursement via des agents telephonique qui permettra de minimiser les risques lies au fraude

Kitungwa Lumbu Michel , Etude, Conseil en Gestion et formation des Entrepreneurs sarl En sigle ECGFO SARL, République Démocratique du Congo
10 juillet 2022

Ce vraiment une analyse intéressante

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